Jung appelle individuation le processus remarquable qui « crée un individu psychologique, c’est-à-dire une unité autonome et indivisible, une totalité ».
Ce processus comporte deux grandes phases, celle de l’expansion, au cours de la première moitié de la vie, et celle de l’introversion, dans la deuxième moitié.
L’enfant vit au départ entièrement dans l’inconscient ; l’enjeu de la première partie de la vie est de s’en arracher progressivement et de se constituer un Moi conscient. Par le terme de Moi, Jung désigne le noyau personnel conscient, le centre de l’activité et du jugement. Au cours de cette phase, il faut que l’être humain fortifie progressivement son Moi, il faut qu’il se fasse une place au soleil et qu’il puisse s’y maintenir. Dans ce but, il développe une persona, figure adaptée aux attentes de l’entourage, masque qui lui évite d’être livré aux autres sans défense, avec tous ses sentiments et états d’âme. C’est à la persona qu’incombe la gestion des relations entre le Moi et le monde environnant. Puisque, au cours de cette période, l’être humain applique tout son soin à fortifier son Moi et à édifier une persona solide, il néglige par la force des choses beaucoup d’autres de ses aspects. La conséquence en est la formation de l’ombre, en quelque sorte image spéculaire du Moi, composée « des aspects psychiques de l’être humain qui ont été en partie refoulés, en partie non vécus ou très peu vécus, qui avaient été dès le départ exclus de l’existence courante pour des raisons morales, sociales, éducatives ou autres encore et qui avaient été livrés de ce fait au refoulement ou à la censure ».
L’ombre ne se réduit donc pas au versant négatif obscur mais comporte aussi des aspects positifs. La nature humaine est faite de couples de pôles ; à chaque pôle correspond un pôle opposé. L’un d’eux est admis dans le conscient, l’autre reste confiné dans l’inconscient. En face de toute qualité se dresse son opposé. Plus l’être humain développe une qualité particulière, plus se renforcent dans l’inconscient les répercussions de la qualité opposée. Ceci ne vaut par seulement pour les vertus, mais aussi pour les quatre fonctions psychiques de la conscience distinguées par Jung : pensée, sentiment, intuition, sensation. Si un être humain développe unilatéralement ses fonctions rationnelles, il sera submergé dans son inconscient par les manifestations infantiles et pulsionnelles de sa sensibilité (par exemple, une sentimentalité exacerbée). Les qualités et les modèles de comportement relégués dans l’ombre sont généralement projetés sur d’autres personnes, de préférence de type psychologique opposé. Empêchant l’ombre d’émerger à la conscience, cette projection est souvent à l’origine de tensions interpersonnelles.
Dans la première partie de sa vie, l’être humain est tellement accaparé par l’affirmation de soi, qu’il s’identifie avec son Moi conscient. L’ombre, l’anima (ou l’animus), l’inconscient sont refoulés, sans qu’il en résulte de grands dommages. Mais voici que tout change dans la deuxième moitié. Il s’agit à présent d’intégrer l’ombre, l’anima (ou l’animus), de retirer en conséquence les projections qu’on faisait vers l’extérieur, de s’ouvrir à son propre inconscient et de rendre conscientes les dispositions et les qualités qu’il contient. Il faut que le Moi se retourne vers son origine, vers le Soi, pour recevoir de lui une nouvelle force vitale.
L’individuation a pour but l’épanouissement du Soi, concept que Jung définit comme « la totalité psychique de l’être humain ». Alors que le Moi est uniquement conscient et l’ombre au contraire inconsciente, le Soi englobe à la fois conscient et inconscient. L’être humain doit se redéployer du Moi vers le Soi. Ceci se fait par le transfert dans le champ conscient et par l’intégration d’une part toujours plus grande d’inconscient.
Les problèmes du milieu de la vie. La psychologie de Carl Gustave JUNG
Anselm GRÜN, La crise du milieu de la vie. Une approche spirituelle, Editions Médiaspaul, 1998, Dixième Edition 2006.