ou les problèmes du milieu de la vie, selon Jung.
Le milieu de la vie, situé entre trente-cinq et quarante-cinq ans environ, désigne ce tournant au cours duquel l’épanouissement du Moi doit se muter en mûrissement du Soi. Le problème essentiel posé par ce tournant est que l’être humain croit pouvoir maîtriser les tâches de la deuxième moitié de la vie en conservant les méthodes et les principes de la première moitié. Pour l’être humain, reconnaître et admettre la courbe de sa vie consiste à s’adapter, à partir de son midi, à la réalité intérieure et non plus à la réalité extérieure. Ce n’est plus l’expansion qui est exigée de lui, mais la réduction à l’essentiel, le cheminement vers l’intériorité, l’introversion. « Ce que la jeunesse a trouvé et devait trouver à l’extérieur, l’homme de l’après-midi doit le trouver en lui ».
Les problèmes devant lesquels l’homme se retrouve au midi de sa vie sont liés aux tâches dont la réalisation lui est imposée par la deuxième moitié de la vie et par rapport auxquelles il doit apprendre à se situer :
– la relativisation de sa persona ;
– l’acceptation de son ombre ;
– l’intégration de son anima ou de son animus ;
– l’épanouissement du Soi dans l’acceptation de la mort et la rencontre avec Dieu.
La relativisation de sa persona
Il a fallu beaucoup d’énergie à l’adolescent et au jeune adulte pour conquérir sa place dans la vie. Cette lutte exigeait une forte persona qui lui permettait de s’affirmer dans l’existence. Mais le renforcement de la persona passait par le refoulement de l’inconscient. Celui-ci faisant à présent irruption au milieu de la vie, l’être humain est déstabilisé, son assurance consciemment assumée s’effondre ; désorienté, il perd son équilibre. Pour Jung, cette perte d’équilibre est tout à fait opportune, car elle oblige à la recherche d’un nouvel équilibre dans lequel l’inconscient aussi reçoit à présent sa juste place.
Bien sûr, l’effondrement de ces repères peut aussi tourner à la catastrophe. Une réaction de protection contre la déstabilisation, assez fréquente, consiste à se cramponner à sa persona, à s’identifier, sans aucune prise de distance, à son poste, à son emploi, à son titre. Jung estime que beaucoup de représentants du sexe masculin se réduisent au rang qui leur est accordé par la société. C’est en vain qu’on chercherait une personne sous cette enveloppe. Derrière les somptueuses apparences, on ne trouverait qu’un pitoyable petit bonhomme. Si la fonction exerce une telle séduction, c’est qu’elle compense l’insuffisance personnelle. Au lieu d’être à l’écoute des attentes du monde et de se retrancher derrière sa persona, l’homme du milieu de la vie devrait être plus attentif à la voix intérieure et s’employer à développer sa personnalité profonde.
L’acceptation de l’ombre, ou le problème des opposés
Jung voit toute la vie humaine sous forme de couples d’opposés : ainsi conscient et inconscient, lumière et ombre, animus et anima. La notion d’antagonisme est essentielle pour l’être humain. Il ne se constitue en totalité, il ne se déploie jusqu’au Soi que s’il ne refuse pas les opposés mais s’il les englobe en soi. La première moitié de la vie, par le renforcement du Moi, mettait unilatéralement l’accent sur le conscient. La raison se forgeait des idéaux que le Moi suivait. Mais à tous ces idéaux correspondent dans l’inconscient des prises de position opposées. Plus grand est l’effort pour exclure celles-ci, plus fréquent est leur retour dans les rêves. De même, les modèles de comportement vécus consciemment suscitent des attitudes contraires dans l’inconscient. Le milieu de la vie exige à présent de se tourner aussi vers les pôles opposés, d’accepter l’ombre auparavant non vécue, et d’entrer en débat avec eux.
Nous rencontrons alors deux erreurs de comportement typiques : l’une consiste à ne pas voir le contraire de l’attitude consciente. On se cramponne aux anciennes valeurs, on se fait champion des principes, le laudator temporis acti (le panégyriste du temps passé). On se raidit, on se pétrifie, on se met des œillères. L’autre réaction erronée au problème des opposés consiste à jeter par-dessus bord toutes les valeurs auxquelles on adhérait… On succombe à l’erreur de croire qu’une valeur donnée est abolie par la valeur opposée. On ne saisit pas qu’aucune valeur, aucune vérité de notre vie n’est niée par son contraire, mais que les deux sont en relation de réciprocité.
L’intégration de l’anima et de l’animus
Le problème des opposés se manifeste entre autres, au tournant de la vie, par l’apparition chez l’homme et la femme de caractéristiques de l’autre sexe… Selon Jung, tout se passe comme si chaque personne avait une certaine provision de masculinité et de féminité… Jung utilise les termes d’anima et d’animus pour désigner les traits, qualités et principes féminins et masculins. Tout être humain porte en lui les deux potentialités.
Jung propose différentes voies pour le début avec l’anima… Il faut que je donne à mon inconscient l’occasion de s’exprimer et d’accéder à la conscience… D’autres voies sont l’épanouissement conscient des forces de la sensibilité, des capacités musicales et artistiques que chacun porte en soi…
Comme l’homme avec son anima, la femme doit apprendre à fréquenter son animus… L’animus joue ainsi le rôle de pont vers l’inconscient où reposent des forces fécondes et créatives, nécessaires à son devenir… L’intégration de l’anima et de l’animus trouve par ailleurs un soutien dans la communauté qui peut offrir un havre, mais aussi des exigences et des structurations. Celui qui se ferme à la communauté se coupe du fleuve de la vie.
L’épanouissement du Soi dans l’acceptation de la mort et dans la rencontre avec Dieu
Selon Jung : « A partir du milieu de la vie, ne reste vivant que celui qui veut bien mourir avec la vie ». La peur de mourir est liée pour lui à la peur de vivre. Car ne peut vivre, rester vivant, mûrir, seulement celui qui accepte la loi de la vie qui est mouvement vers la mort, son but.
La fixation sur le temps de la jeunesse est un signe typique de la peur devant la perspective du vieillissement… Au lieu de se préparer à vieillir, on se veut éternellement jeune, ce qui est, d’après Jung, un « substitut bien minable à l’illumination par le Soi », exigée de l’être humain dans la deuxième moitié de la vie.
Les problèmes du milieu de la vie. La psychologie de Carl Gustave JUNG
Anselm GRÜN, La crise du milieu de la vie. Une approche spirituelle, Editions Médiaspaul, 1998, Dixième Edition 2006.